en route pour le lycée, l'ado avait son casque vissé sur les oreilles, ses yeux étaient fermés, sa respiration régulière ! j'aurais donné cher pour lire dans ses pensées. peut-être qu'il ne pensait justement à rien préférant faire le vide avant l'épreuve d'histoire-géographie redoutée. alors je l'ai laissé plongé dans ses pensées. alors que je brûlais d'envie de le "sonder", je ne l'ai pas questionné. j'ai tout simplement préféré me connecter à la réalité en allumant l'auto-radio. les rares fois où il m'arrive de conduire le matin, j'aime écouter nicolas demorand sur france inter. je le trouve bien cet homme cultivé qui sait parler de tout avec une grande simplicité. ses propos sont fluides, le ton est posé. on sent qu'il maîtrise ses sujets. passé l'inévitable couplet sur la défaite des bleus qui visiblement ne se sont pas assez bougé, il a enchaîné avec le 70ème anniversaire de l'appel que le Général de Gaulle avait rédigé à l'intention des français. france inter a eu la bonne idée de demander à 18 personnalités diverses et variées "d'interpeller les auditeurs par le biais d'un billet afin de les inviter à refuser ceci ou cela, à faire mieux dans tel ou tel domaine, à interroger la conscience collective, à résister au consumérisme, à s'impliquer dans la vie associative, à respecter l'environnement, à reconsidérer leurs manières de vivre ou leur rapport aux autres, à financer une cause, à tirer les leçons de l'histoire, à commencer par celle du 18 juin 40." un billet sera lu aujourd'hui toutes les heures. la voix claire et limpide de Marceline Loridan-Ivens (82 ans) a alors fait irruption dans l'habitacle. les mots de cette femme dont je n'ai jamais entendu parler m'ont percutée. ils seront retranscrits et conservés dans l'un de mes petits cahiers. j'aurais aimé que l'ado les entende. alors ce soir je les lui ferai lire.
"Appel à ne pas avoir peur
Quand j'avais 12/13 ans, la nuit parfois, je sortais de la maison en robe de chambre et puis je marchais dans le parc ténébreux, tremblante en me répétant "n'aies pas peur. n'aies pas peur, non tu n'as pas peur". Dans le parc il y avait de très grands arbres et un chemin qui menait vers cette porte par laquelle nous avions cru pouvoir nous échapper mon père et moi quand ils sont venus nous arrêter. Depuis, toute ma vie, j'ai fait appel à cette enfant qui est toujours en moi et qui a décidé, une nuit au fond d'un grand parc noir de ne jamais céder à la peur. Ne pas avoir peur d'avoir mal, ne pas avoir peur de tout perdre, ne pas avoir peur d'être en rupture avec le politiquement correct et la pensée unique. Ne pas avoir peur de déplaire à l'autre, à son voisin, ne pas succomber à la facilité de la pensée commune, comme en ce moment avec Israël. Est-ce que je dois à nouveau croire ? dois-je lutter encore une fois pour ne pas avoir peur d'être juive ? C'est la peur qui rend l'homme méchant, lâche, fanatique, cupide, indifférent, bête et cruel. Aujourd'hui à 82 ans, dans un monde à bien des égards terrifiant, je continue plus que jamais à faire appel à l'enfant qui est en moi pour résister à la peur et ne jamais oublier au-delà de l'ignominie l'émerveillement de la première fois. La première fois que j'ai vu la neige, la première fois que je suis passée sur un pont, la première fois que j'ai senti la pluie sur mes bras. C'est avec cet émerveillement que l'on fait de grandes choses. Aussi, ce 18 juin 2010, j'en appelle à l'enfant qui est en vous tous, hôtes de ce monde, pour résister à la peur".